Point de vue de Romain Vacquier

La Maison de la Diversité : communauté ou communautarisme ?

Romain Vacquier est doctorant en théorie des organisations à l’université PSL Paris-Dauphine,
Il suit le projet des Audacieux depuis 2018 dans le cadre de deux projets de recherche, l’un avec deux collègues dans le cadre de sa thèse, l’autre dans le cadre du projet de recherche action participative RAPSoDiA.

On entend souvent que le projet serait « communautariste ». De quoi parle t-on ? Pourquoi ne pas rester sur le terme de communauté ?

L’accusation de « communautarisme » est en effet la principale difficulté à laquelle le projet est confronté pour trouver les soutiens – notamment financiers – dont il a besoin.

« Communauté » et « communautarisme » sont deux termes qui n’ont pas le même sens. Le premier renvoie au sentiment d’appartenance mutuelle à un groupe plus ou moins étendu (humanité, religions, nations, famille…). Le second est un terme politique franco-français qui date des années 1990, et qui est progressivement tombé dans le langage courant.

Comment expliquer ce terme de « communautarisme » ?

On trouve maintenant un certain nombre de travaux en sciences sociales qui l’expliquent, même s’il n’est pas toujours facile de se défaire de sa charge très polémique y compris pour le chercheur. Celles et ceux qui utilisent ce terme font référence à une conception républicaine de la liberté, dominante en France. Ils dénoncent le fait qu’une partie de la « communauté nationale » voudrait fonder une communauté en son sein, avec ses propres règles et sa propre vision du monde.

Dans le cas des personnes ayant une orientation sexuelle ou une identité de genre minorée, le fait qu’elles se regroupent pour tenter de mettre fin à leur stigmatisation est régulièrement taxé de communautarisme. C’est encore plus le cas lorsque cela prend la forme de lieux de vie visibles dans l’espace public. C’est par exemple ce que vient décrire le terme de « ghetto » que l’on entend assez souvent pour qualifier le projet de la Maison de la diversité.

Bien que cela ne renvoie pas systématiquement selon moi à une forme déguisée d’homophobie, dire de ce projet qu’il est communautariste est un peu contradictoire.

C’est-à-dire ?

On sait que de tels principes comme « Les hommes naissent libres et égaux en droits » ont une réalisation historique imparfaite. Ce n’est pas rejeter le projet républicain et universaliste tiré des Lumières que de dire qu’il ne s’est pas réalisé de façon homogène. Nos Lumières ont aussi leurs parts d’ombre. Ce projet n’a pas mis fin à la stigmatisation des minorités sexuelles et de genre, ou bien empêché les politiques coloniales. C’est en particulier le cas de beaucoup des personnes non-hétérosexuelles qui sont nées ou ont grandi avant la révolution sexuelle des années 60. Les travaux en gérontologie montrent à ce titre très clairement les inégalités qui existent entre seniors selon leur orientation sexuelle. Les minorités sexuelles et de genre vieillissantes ont moins accès aux soins, sont plus isolées, sont plus vulnérables psychologiquement, et victimes de discriminations dans les institutions de santé. Cela n’appelle-t-il pas une action correctrice de cette inégalité de fait ?

D’autant plus qu’il y a d’autres « exceptions »…

Oui, c’est une autre contradiction qui se loge dans le terme de « communautarisme » selon moi. Si on le prend au mot il faudrait alors inclure dans la critique les établissements confessionnels (écoles et maisons de retraites) ou corporatistes (ex. : les maisons de retraites s’adressant aux retraités de tel ou tel métier). Pourquoi cette différence de considération ?

Enfin, le terme d’exception est un peu un abus de langage car il faut voir que ce projet n’est pas réservé aux minorités sexuelles et de genre (ce serait, en France, illégal) et qu’il n’affirme nullement qu’il s’agît d’une solution de référence pour toutes les minorités sexuelles vieillissantes. En fonction du parcours de chacun et chacune, certain.e.s éprouvent le besoin de telles formes de vie, d’autres pas, ou se tournent vers d’autres solutions comme le proposent de façon complémentaire des associations comme GreyPRIDE, les Senoritas ou encore les Gais Retraités. Dans ce cas, en quoi un tel projet attente-t-il aux libertés individuelles et collectives ? En quoi pose-t-il un problème politique et moral ? Les porteurs de ce projet font beaucoup d’effort pour préciser cela. Leur message commence visiblement à passer, mais cela prend du temps.

Comment faire pour accélérer cette prise de conscience ?

Ce qui est déjà en train d’être fait dans les présentations du projet à mon avis. Davantage montrer les parcours des personnes à qui ce projet s’adresse et qui s’y impliquent. On voit émerger récemment des documentaires comme Les Invisibles (2012) qui jouent aussi un rôle important pour montrer au grand public qui sont ces seniors, comment ils vivent leur vieillesse, pourquoi certain.e.s ont envie de vivre ensemble dans des habitats partagés.

On y voit une très grande diversité de parcours, des épreuves communes, mais aussi plus simplement une aspiration universelle : vivre ou continuer à vivre jusqu’au bout une vie bonne entourée d’une communauté de proches qui nous procure un environnement préservé du jugement. A mon sens, vouloir cela, ce n’est pas refuser l’autre comme le laisse penser l’accusation de communautarisme, mais la condition de possibilité de l’ouverture à l’autre. Il faut rappeler que la stigmatisation qui pèse sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre et ses conséquences conduit souvent les individus qui la subissent à se tourner vers des familles de choix où les amis jouent un rôle clé, parce qu’ils n’ont pas eu accès jusqu’à récemment aux formes de conjugalité et de parentalité instituées, et qu’ils ont dû parfois prendre de la distance avec leur milieu familial d’origine. Mais avec l’âge, ce cercle se réduit et l’isolement pointe. Voilà donc pourquoi l’habitat partagé est une forme qui peut convenir. C’est d’ailleurs une solution qui se développe beaucoup chez les personnes âgées comme modèle alternatif aux dispositifs classiques comme l’aide à domicile ou l’EHPAD, dont on a bien perçu les limites pendant cette crise du COVID-19. Car l’isolement est un problème qui transcende les différences sexuelles.

Un mot de conclusion ?

Tout citoyen sérieux doit confronter le terme « communautarisme » à la réalité de ce dont il parle pour garder une distance critique vis-à-vis de ce mythe de l’ennemi intérieur. Mais plus largement, il me semble crucial de ne pas réduire ce projet à sa dimension sexuelle comme le fait ce terme politique. C’est une donnée, on ne doit pas la nier, mais on ne doit pas surpolitiser ce projet. Quand on se rapproche un peu plus des biographies des personnes, on se rend compte de la banalité de leur motivation : bien vivre aussi longtemps que possible.

 

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