ENTRETIEN : Les seniors, un changement de regard nécessaire ? par Mélissa Petit, Docteure en sociologie

Mélissa Petit est Docteure en sociologie, spécialiste des enjeux de la longévité et des comportements des retraités et a fondé le cabinet Mixing Générations (bureau d’études et de consulting en sociologie sur les seniors, la silver économie et les âges), elle était le Grand Témoin du dernier Apéro-Débat de l’Association « les Audacieux » : un Senior dans la ville.

Mélissa Petit a accepté de répondre à nos questions et pose le sujet de la place des vieux dans la ville, et plus largement dans la Société.

Propos éclairants …

 

> Vous travaillez sur la notion de « MixingGenerations »…Pourquoi l’intergénérationnel est-il un axe de travail essentiel pour la qualité de vie des seniors ?

Mélissa Petit :
« Avant d’évoquer la notion d’intergénération, il est important de redéfinir le concept de Génération. La génération peut s’entendre de quatre manières différentes : familiale, démographique, sociale ou politique. Karl Mannheim, un sociologue allemand, considère la génération comme un groupe constitué d’individus relativement contemporains qui partagent un vécu ou des expériences similaires et se retrouvent souvent autour d’un nœud fédérateur. Faire partie d’une génération c’est avant tout être en lien par un phénomène marquant, qu’il soit d’une mémoire collective, d’une strate familiale, etc.

Ainsi, quand on évoque l’intergénération, on se questionne sur les manières de lier et d’unir des générations différentes. Ainsi, ce sujet nous amène à nous poser la question de la société dans laquelle on veut vivre. Est-ce dans une société du partage, du maillage, du lien ? Dans les analyses, on voit émerger plusieurs tendances dont celle des échanges et de l’ère du « co », de la consommation collaborative, en passant par l’entreprise collaborative, voire même une appétence à une démocratie co-construite. Et dans cette ère, l’ensemble des générations participe ou est amené à participer à ces échanges.

Et quand on évoque la ville, peu importe ce qu’on dit sur le numérique par exemple, c’est le lien et les liens qui nous lient entre l’ensemble des citoyens qui est important pour faire société. Et quand on arrivera à adapter et à transformer la ville pour les seniors ou les personnes les plus vulnérables, on l’adaptera pour tout le monde ».

 

 

De l’importance du lien…

« On voit bien que derrière la question des générations, on questionne le sujet des liens qui relient chaque individu au sein de la société. La sociologie a commencé par étudier les différentes formes de solidarités et donc de liens sociaux qu’il y avait au sein des sociétés. De ce fait « pour faire société, on doit faire lien ».  L’idée est donc bien de créer, d’entretenir, d’enrichir le lien social avec l’ensemble des générations. Toutefois, il y a parfois des dysfonctionnements au niveau des liens, qui peuvent ainsi créer le phénomène d’isolement social ; et être isolé cela peut arriver à toutes les générations en fonction des évènements qui ont lieu dans les parcours des individus ».

 

… Et des diversités

« Parler des générations, c’est aussi parler des diversités qui nous lient ou qui peuvent aussi nous séparer.

Je suis actuellement en train d’étudier le concept d’intersectionnalité qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de dominations ou discriminations dans une société et qui sont en décalage par rapport à un système de cadrage politique ou juridique. On peut donc mêler à la fois le genre, l’âge, les orientations sexuelles et les origines culturelles comme des déterminants qui peuvent s’entrecroiser et être objet de défense d’intérêts.
Poser un projet tel que la Maison de la Diversité, c’est répondre au besoin d’une communauté (les LGBT âgés), qui a des problématiques spécifiques et qui peut subir des discriminations.

A partir de cela, c’est aussi comment prendre en compte, regarder, analyser ces déterminants. On peut le faire aussi en considérant que les diversités sont des richesses, tout en étant vigilant aux enjeux de discriminations inconscientes et des représentations sociales que nous pouvons parfois développer face à telle ou telle diversité.

Nous avons tous besoin de diversités, pour mieux s’accepter les uns les autres, dans nos différences autant que dans nos ressemblances ».

 

> Changer le regard sur les personnes âgées ? Comment la Société peut elle mieux prendre en compte « ses vieux » ?

Mélissa Petit
« Changer le regard sur les plus âgés peut passer par trois axes d’action : la culture, la visibilité dans la ville et les politiques mises en œuvre.

Le premier axe est celui de la prise de conscience de nos représentations et l’évolution de celles-ci. Un des moyens pour transformer ces représentations est de passer par un médiateur, qui est l’objet culturel. De nombreuses séries tv, films, ouvrages et médias évoquent aujourd’hui le sujet de la longévité et montrent différentes figures des individus qui avancent en âge.

En plus de nous faire prendre conscience de nos représentations, l’objet culturel doit nous permettre de nous projeter, de nous faire accepter que nous serons demain les individus âgés ».

Un senior dans la ville

« Le deuxième axe est celui de la visibilité des plus âgés. Le premier endroit dans lequel on imagine la circulation est celui de la ville. Dès lors, comment permettre aux plus âgés de circuler dans la ville facilement, d’être mobiles et donc de prendre part aux activités de la Cité ? A partir du moment où je commence à résoudre ces questions, je créé de la circulation donc de la visibilité de ce corps âgé qui déambule dans la ville. Ensuite, pour parfaire l’action, il faudra certainement développer le métier de médiateur pour faire le lien entre les générations. Sinon, bien que les plus âgés soient présents sur la scène publique, les « autres » risquent de leur être indifférents ».

 

Et les politiques publiques ?

« Le dernier axe est celui des politiques publiques. Je ne vais pas revenir sur le rapport Libault qui marque cette année les avancées du grand âge et de l’autonomie.

J’irai peut être un peu plus loin pour envisager une véritable politique volontaire à tous les niveaux : national et local.
Au niveau national, le vrai changement serait de penser le vieillissement à travers tous les sujets de société (parcours de travail, parcours de mobilité, parcours de logement, parcours de santé, etc,), voire d’imaginer la construction d’une société pour tous les âges.

Au niveau des territoires, il semble important de réussir à retisser des dynamiques locales, de revaloriser les centres villes et d’intégrer les plus âgés, également en tant qu’acteurs, participants et ressources dans les actions impulsées à cet échelon ».

> Vos projets, vos pistes de travail pour ces prochains mois ?

Mélissa Petit :
« Du point de vue de Mixing Générations, nous travaillons ces derniers temps principalement sur des sujets liés aux parcours résidentiels en lien avec les évolutions du parcours de vie, mais aussi sur les mutations au sein de la famille.

A titre individuel, deux sujets m’animent plus particulièrement et qui pour moi sont liés : celui des femmes âgées et celui de l’intersectionnalité. De plus, j’ai envie aujourd’hui de faire de la sociologie différemment et de raconter par l’écrit ».

 

 

… Et on vous invite à lire la récente contribution de Mélissa Petit au blog « les Ambitieuses » : En chacune de nous sommeille une femme âgée.

 

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