Point de vue d’Alain Smagghe

Point de vue Alain Smagghe

Vivre jusqu’au bout en habitat collectif

Par le docteur Alain Smagghe, cofondateur de la Maison des Sages.

Le docteur Alain Smagghe fait partie des cofondateurs de la Maison des Sages, un habitat collectif pour seniors atteints de la maladie d’Alzheimer.
Un projet de 10 ans, qui s’est concrétisé en octobre 2019, à Buc dans les Yvelines, avec l’ouverture d’une première structure d’accueil de 8 habitants, qui vivent ensemble dans un habitat partagé.
Les Audacieuses et les Audacieux ont eu l’occasion de visiter la maison, il y a quelques mois (voir ici)
Désormais, une deuxième maison est ouverte et une troisième est prévue, toujours dans le même département.
A l’aune de son expérience, Alain Smagghe parle de la Maison des Sages, nous donne son point de vue sur le projet Maison de la Diversité et prodigue quelques conseils avisés… Inspirant…

En quoi consiste votre structure ?

Notre projet est centré sur la problématique spécifique de la perte d’autonomie liée à un handicap cognitif. On essaie de répondre à la question : que se passe-t-il dans un habitat collectif quand les habitants perdent leur autonomie du fait d’une maladie neuroévolutive, plus impactante qu’une perte d’autonomie physique.

Dans notre cas, si on veut rester chez soi, il faut pouvoir apporter une réponse par un accompagnement de tous les instants, 24h/24.

Dans la Maison des Sages, les colocataires paient un loyer, ils participent aussi aux dépenses de vie quotidienne, et ils financent l’ensemble des professionnels qui travaillent au sein de la structure (les auxiliaires de vie présentes 24h/24). Seul le salaire de la coordinatrice (qui organise la maison et joue le rôle de super intendante) est financé par l’Allocation Vie Partagée (AVP), en financement public donc.

Notre projet, parmi les premiers de ce type en France, s’est largement inspiré de ce qui se pratique depuis des décennies en Allemagne, qui propose aujourd’hui un réseau de près de 4 000 structures analogues.

Comment gérer cette perte d’autonomie de l’habitant dans un habitat collectif, tel que la Maison de la Diversité ?

Votre projet est pensé très en amont d’une éventuelle perte d’autonomie, avec des habitants autonomes, et pourrait s’apparenter à un habitat type résidences-services seniors.

Alors, comment imaginer que la communauté constituée quand tout le monde allait bien puisse évoluer quand un de ses habitants est atteint d’une maladie de type Alzheimer ?
Généralement, dans ce type d’organisation, lorsque la personne décline, elle est orientée vers une structure plus médicalisée, type EHPAD.

Donc la question que vous devez vous poser c’est : on fait quoi après ? Faut-il prévoir dès le départ un ou deux logements adaptés à la perte d’autonomie, au sein même de la maison ? Faut-il envisager la construction d’une unité de ce type, dans le périmètre de la Maison ?

Et le senior qui fait le choix d’une structure se pose en même temps la question : est ce que à terme je vais à nouveau devoir déménager ? C’est ce que nous ont exposé les grands acteurs du milieu institutionnel quand nous avons initié notre projet : vous n’aurez pas d’autres choix que de nous adresser vos habitants affaiblis lorsque la maladie sera évoluée.

Pour la Maison des Sages, nous avons fait un choix : les habitants sont accueillis jusqu’au bout.
Nous l’avons vécu récemment, avec le décès d’une habitante dans la colocation. Une dame âgée qui a été accompagnée jusqu’au bout, par les auxiliaires de vie et une équipe d’HAD-Soins palliatifs, par le collectif d’habitants et par les autres familles aussi. Et pour la fille unique de l’habitante, notre collectif a joué pleinement « le rôle d’une famille ».
Il faut juste y penser avant…

Ce que je trouve intéressant dans la Maison de la Diversité, c’est que votre projet s’adresse à une communauté qui a eu une expérience de l’adversité, qui a lutté toute sa vie (pour faire valoir ses droits, pour défendre son choix de vie) ; votre collectif de seniors intéressés est une vraie force, mobilisée, engagée. Et de fait, votre communauté participe globalement à faire avancer les choses sur la problématique du vieillissement avec perte d’autonomie. C’est cette même communauté LGBT qui a beaucoup fait avancer les choses sur l’organisation des soins, principalement via le prisme du SIDA. Du coup aujourd’hui quand les seniors LGBT vous demandent, est ce que je pourrais mourir dans la Maison de la Diversité, ils posent la bonne question ; parce que, une communauté qui se dit « inclusive » doit l’être jusqu’au bout.

Quelques conseils pour aller vers la réussite de notre projet ?

Dans un habitat collectif, il y a plusieurs communautés : les habitants eux-mêmes, leurs familles ou leurs proches, les bénévoles qui viennent donner un coup de main et du temps et la communauté des professionnels, dans l’habitat et dans son environnement ; c’est une micro-société aux composantes multiples, qui nécessite du dialogue, de la concertation, de connaissance des gens entre eux. Il faut aussi penser au renouvellement : le départ d’un habitant, d’un professionnel qui peuvent déstabiliser l’équilibre de la petite société.

Et ce qui va caractériser les différents projets, c’est l’intensité de l’accompagnement nécessaire. Une personne atteinte d’une forme avancée de la maladie d’Alzheimer ou de la maladie de Parkinson, c’est un accompagnement 24h/24. Cela veut dire aussi qu’il faut former les accompagnants aux différentes pathologies.

Une autre condition de la réussite, c’est le bon choix du lieu d’implantation.
Y a-t-il des gens qui veulent s’investir, y a-t-il un collectif de personnes engagées ? Il faut détecter assez tôt le potentiel d’habitants intéressés par la perspective, en parallèle il faut développer une communauté de bénévoles et nouer très en amont des liens avec les acteurs économiques, les financeurs (pour expliquer en quoi le projet répond à un besoin non couvert), les villes (qui n’ont pas toute la même vision ni les mêmes objectifs), les professionnels et les réseaux de soin de l’environnement… Et le relationnel est très important et prend du temps. Pour négocier demain avec des partenaires, il faut bien les connaitre.

Et se dire qu’aucune maison ne ressemblera à une autre, l’idée est de penser les projets de façon personnalisée, presque artisanale, dans le bon sens du terme, en fonction du territoire, des partenariats noués… Chaque projet doit être pensé comme une aventure unique / une épopée à part entière, sa réalisation sera d’abord fonction de l’engagement de ses acteurs.

La maison des sages

Visite de la maison des Sages par Les Audacieuses et Les Audacieux

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