La Maison de la Diversité en 2088

Maurice, Audacieux, vit dans une des Maison de la diversité en 2088.

2088

La Maison de la Diversité n°104 s’éveille lentement. Il est 20 heures. Le réchauffement climatique a poussé la population à inverser les nuits (plus fraiches) et les jours (torrides)
On entend le doux ronronnement de la clim dans les 32 étages de la Tour aux couleur arc en ciel. Le drapeau, frappé du S de son fondateur et rose, couleur d’un débardeur qu’il affectionnait, flotte mollement.

Les 560 studios tous identiques et totalement rationnels, suréquipés de capteurs divers commencent à prendre vie.

Des centaines de fauteuils glissant sur le sol des larges couloirs, viennent silencieusement dans les chambres.

La porte disparait dans le mur. Le fauteuil se place au bord du lit. Le lit s’est mis de lui même à la hauteur exacte du locataire. Le fauteuil est à mémoire de forme (rien de plus désagréable que de poser ses vieilles fesses sur un siège moulé pour d’autres.)
Le G.C.C (voir ci-dessous) s’assoit et son fauteuil retrouve les autres dans les couloirs.
G.C.C : gay centenaire comblé.

Au bout des 28 couloirs, une agréable salle baigne dans une lumière du jour artificielle, puisque la nuit tombe, et rend la luminosité d’un soleil ancien : dans la journée, son ardeur actuelle est arrêtée par les stores spéciaux qui ne laissent filtrer qu’une lueur lunaire. Salle des repas. 28 salles identiques superposées, les quatre les plus basses appartenant aux parties communes.
Des tables de un, deux quatre ou huit convives sont prêtes. Selon les choix préalables des locataires et inscrits sur la tablette personnelle de chacun, les fauteuils vont se placer contre l’une ou l’autre.

Sur les tables, des plateaux couverts de barquettes et de gobelets isothermes attendent, contenant des gels, des mousses et des liquides aux couleurs multiples. Si les progrès en ce domaine ont été fulgurants, les prothèses dentaires – contrairement à des promesses faites des décennie plus tôt – sont toujours hors de prix. Alors que pour quelques centimes les grands laboratoires fournissent des mousses d’algues et des gels de croissant riches en E500, ce produit miracle qui a remplacé les immenses listes de chiffres et lettres d’antan.

Trois heures du matin. Les ascenseurs, enfin XXXL, où six fauteuils tiennent aisément, ont descendu des dizaines et des dizaines de G.C.C vers les immenses salles communes. Les activités sont multiples. Les fauteuils, téléguidés par leur programme, se regroupent selon celle choisi par le G.C.C sur une autre tablette où il a indiqué ses envies du jour (en braille, pour certains car on n’a toujours pas trouvé mieux) En cas d’erreur du résident (celui qui a en braille choisi « cinéma » ) se voit orienté vers un groupe plus adapté : Mémory par exemple…. Des salles plus petites accueillent des groupes de parole, à l’ancienne. Certains résidents aiment bien, de par le silence absolu qui y règne.

Un large plan incliné descend vers les pelouses synthétiques d’une vert changeant selon les heures et les parterres de fleurs « toutes saisons », autre victoire de l’époque qui permet une substantielle économie de graines et de personnel.

Discrètement masquées par des buissons de même nature, quelques enceintes acoustiques diffusent de façon aléatoire – pour faire plus vrai – des cris d’oiseaux enregistrés autrefois, quand ils existaient encore. Ils charment les oreilles des GCC…..

Pour les plus nostalgiques d’une époque qu’eux mêmes pourtant n’avaient pas connue, il existaient encore des ateliers spéciaux dits de « mémoire », pour tenter de se souvenir de l’usage du couteau à viande.

Toutes les données qui allaient leur permettre de jouir au mieux de cette confortable Maison avaient été enregistrées par une multitude de capteur placés autour de leur tête lors de la pré -inscription longue et obligatoire… pour vérifier leur Gay’ apt’ itude à la vie en groupe. On savait tout de leur goûts, de leurs souhaits, de l’état de leur sexualité et des troubles physiques qui allaient leur arriver.

L’instance de sélection (car la demande était forte, les GCC s’étant inexplicablement multiplié ces dernières décennies) en savait plus sur chacun que lui-même …qui n’en savait plus guère !
Vers les premières heures de l’aube, au moment où le soleil allait réapparaitre, vite incandescent, tous les fauteuils repassaient par les salles de repas où – luxe suprême – on avait changé les teintes des barquettes, puis ramenaient vers les studios les centaines de résidents.

Là, avant que la lumière ne s’éteigne très progressivement, les GCC avaient un moment personnel où ils pouvaient revivre la terrible solitude d’un « chez soi » en regardant sur un mini écran individuel l’appartement triste (filmé en gris exprès) qu’ils avaient laissé, et les avaient poussés à rejoindre une structure conviviale et collective, ces Maisons de la Diversité.

Ce mot « Diversité » figurait toujours au dessus de porche d’entrée mais plus personne ne se souvenait de son sens. Il aurait fallu relire la Charte du Fondateur et de ses proches, mais ce document, évidemment numérisé, avait disparu dans le bug monstre qui avait frappé la cité dix ans plus tôt. Avec des tonnes d’archives et de documentations diverses.

Finalement, ne restait que cette « séparation » entre les GCC et les CC tout court : les GCC ayant un comportement bizarre sur le plan de la sexualité. Ils étaient devenus le seul critère de différentiation : il y avait les Gays… et les autres. Ceux qui n’avaient pas la particularité de l’être devaient recourir aux EPHAD traditionnelles qui avaient peu évolué depuis des décennies : un soignant pour trente centenaires « basiques ». Les centenaires gays, eux, avaient un fauteuil multifonctions pour eux seuls…
Et les vieux basiques les jalousaient, leurs cent ans sonnés… « ah pourquoi n’ai – je eu la chance de naître Gay »…
30 juin 2088

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